Fini de mesurer le bonheur… Comptons le malheur, licenciement après licenciement


Carte des plans sociaux

C’est avec la volonté de relayer le bel ouvrage que je relaye en ligne cette carte de France des plans sociaux, licenciements, fermetures d’entreprises et chômage technique.
Sous forme de Google Map, c’est à un internaute répondant au pseudo de Latruffe que nous devons cette somme. Une somme qui, hélas, risque de ne pas décroître avant longtemps.
Mise à jour régulièrement, elle recense, depuis le 26 octobre dernier, tous les plans sociaux, suppressions d’emplois, délocalisations, fermetures définitives ou temporaires de sites, jours de chômage technique, etc…
Le ou les « auteur(s) » insiste(nt) sur le fait que cette carte n’est pas exhaustive – On aurait préféré mais y’en a encore dans les tiroirs -.
La question d’un compteur de licenciements revient régulièrement mais sa signification est battue en brèche par « Latruffe » lui-même car ne sont pas comptabilisées les créations d’emplois. Honorable souci d’éthique.
Dans les commentaires de sa Google Map, il souligne malgré tout un chiffre : le différentiel création / destruction donné par le ministère de l’emploi : Moins 30 000 emplois au cours des 2 trimestres précédents.

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On peut, grâce à cette carte, se faire un peu mieux une idée du désastre. Les salariés se donner des sueurs froides ; les licenciés / les chômeurs se consoler en se disant qu’ils sont moins seuls jour après jour.
Pour me faire une idée de la portée de ce travail, je me suis appliqué à compter. Compter les licenciements, compter les emplois non remplacés, compter les emplois délocalisés, les entreprises en liquidation. Compter.

Si l’on excepte les 9000 emplois, environ, en souffrance avant fermeture des Arcelor-Mittal, et les 11 000 cette année et les 11 000 l’année prochaine de l’éducation nationale, si l’on compte le chiffre bas des fourchettes indiquées pour les plans sociaux annoncés, si l’on ne compte pas non plus les plans sociaux pas suffisamment « mûrs » pour que le site puisse donner un chiffre approchant, et sans compter les périodes (des mois parfois) de chômage partiel et si l’on considère que chaque heure apporte, via la page des commentaires, son lot de « signalements » funestes, on arrive quand même, en ce Mardi 25 Novembre au soir, à près de 18 500 emplois en cours de destruction.

A m’atteler à ce comptage, le nez sur ce monitoring morbide, je me suis vu « rond de cuir », halluciné par les chiffres puis, j’imagine, blasé par cet amoncellement quotidien au bout de quelques années de comptage. On ne le dira jamais assez, derrière chacune de ces unités, il y a une vie en équilibre, dans l’angoisse, et avec elle, souvent, une famille.

Et toutes ces vies entrent dans une calculette posée sur un bureau, après avoir été comptées par une autre calculette, un peu avant, sur le bureau d’un patron ou de sa DRH.
Encore un peu avant, une autre calculette aura compté la rentabilité, le manque à gagner. Aura pesé et aura tranché.
Pour certains, une autre calculette, d’une autre espèce, aura constaté que rien ne va plus et qu’on ne peut plus faire autrement…
Mais le résultat reste le même. Des vies basculent.

A notre époque, tout se compte. Tout se mesure. Ici, c’est pour la bonne cause. Se défendre d’une nouvelle manière. Un témoignage numérique et public, c’est toujours bon à prendre.

Compter le bonheur

Un autre jour, on a voulu nous mesurer le bonheur. Ainsi pour l’agence (et les éminents chercheurs) qui s’y sont attelés, ils ont compté. Compté quoi ? Le bonheur… ou ses symptômes ? Celui qui a compté a défini ses critères : le bonheur était dans l’sac de courses.

Ça fait aussi un moment qu’on nous mesure le comportement. Mais là, y’a de quoi faire. Puisque le comportement est compté en vue de nous vendre des choses. Le comportement devient donc tendances de consommation. On nous compte les pots de yaourt, les chaussettes, les sodas, les sacs plastiques, les fruits et légumes, les jouets, les vaisselles en plastique, les dentifrices,…

On nous compte aussi dans la rue, sur les routes, dans les gares. Dès qu’on bouge, on nous compte. On nous compte devant les caisses, les péages, les urnes. Comme on compte les marmottes quand elles sortent de leur trou d’hivernage.
En fait, on nous compte beaucoup plus souvent qu’on ne compte les marmottes. Il est vrai qu’elles n’ont pas de compte en banque.

Mais, au fait, sommes-nous comptés en proportion de notre compte en banque ? Ce n’est pas sûr. On compte bien les crânes dans les charniers… Et même ceux-là qui n’ont plus rien se retrouvent étiquetés, comptés dans une calculette.
N’avoir plus rien devrait au moins donner l’espoir de n’être plus compté, décompté. Mais rien n’y fait. Plus ça va, plus on nous compte.

Compter le malheur

Mais l’agence qui nous compte le bonheur, a-t-elle essayé de compter le malheur ? Non, sûrement pas. Peu rentable ; pas vendeur…
Parce que ce qui les intéresse dans le comptage du bonheur, c’est que, le bonheur, si on parvient à le compter, on pourra nous le facturer.
Mais le malheur… ? Le malheur, ce n’est pas intéressant. C’est même dangereux !!!
Si on arrive un jour à le compter, on pourra en demander dédommagement. Et là, rien ne va plus !!!

On connaît le cauchemar des juges autour de l’estimation des dommages et intérêts et pire encore, du préjudice moral.
Quand c’est pour affaire ça peut se mesurer. Quelques centaines, milliers d’euros pour un « licencié abusif » et quelques 45 Millions de « préjudice moral » en sus des 285 Millions de « dommages et intérêts » pour un Bernard Tapie. Facile !!!
Quand il s’agit d’erreur médicale… là encore : facile ; y’a des barèmes… parfois indexés sur la condition sociale de la victime.
En matière d’escroquerie, au-delà de 3000€, à charge pour la victime de recouvrir l’amende et les dommages décrétés par la justice. Facile, ‘suffit de se déguiser en gendarme.
Mais dès qu’il s’agit de viol, de vies, de mort, on ne compte plus.

D’ailleurs, on ne compte plus, bien avant ces extrémités.
Par exemple, combien le malheur d’un licencié et de sa famille ?
Pour le licenciement, on sait compter. On indemnise. Sur le coup, on étalonne le manque à gagner. Et puis on ventile avec une période de chômage…

Mais ensuite, qu’il y ait ou pas délocalisation (le malheur des uns fait le bonheur des autres), qu’il y ait ou pas enrichissement des actionnaires (pareil : le malheur des uns…), qu’il y ait large bénéfice sur la revente des actifs (pareil : le malheur…), le licencié n’a plus le droit au chapitre. Combien pour son malheur ? Pas l’ombre des bénéfices qui se perpétuent bien après sa contribution.

Quand il y a extinction définitive d’un marché, le soutien social tel qu’il se pratique aujourd’hui est justifié et proportionné.
Mais quand il y a déplacement de l’activité, recherche de rendement financier supérieur au rendement industriel, enrichissement induit par la cessation d’activité ou liquidation pure et simple d’actif sans réelle nécessité, il est légitime d’ouvrir le droit, droit syndical et pénal, aux salariés et ex salariés pour qu’ils puissent ester en vue de faire valoir dommages et préjudices.

Flouer à fins de bénéfices n’est pas moral. Habituellement on appelle ça de l’escroquerie.
L’abus de position dominante est aussi un délit reconnu en matière de droit économique mais aussi civil et pénal.
Les esprits doivent changer et se libérer des injonctions sournoises de l’ImMorale ambiante.

Les éminences grises des places financières qui viennent de passer plusieurs décennies à croiser les données de coût et de rentabilité se sont elles interrogées sur le seuil à partir duquel le malheur des salariés endiguerait leur élan cupide ? A lire le cynisme des théories libérales élaborées dès le 18ème siècle sur cette page par exemple.

Comme le fait cette carte de la crise en miniature, il est temps de compter le malheur ; quantitativement ET qualitativement.

Mais à voir avec quelle avidité nos chers banquiers récupèrent les derniers écus qu’on leur tend naïvement, il est illusoire de croire qu’ils feront un geste pour les partager équitablement.
Alors que feront-ils lorsqu’il n’y aura plus rien à racler ?
Ils coteront le malheur en bourse.


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