Depuis quelques temps, une sensation étrange, un peu désagréable, s’installe dans mon quotidien sous forme de petits indices. Un peu à la façon de ces films d’épouvantes qui amorcent la sensation de peur en pointant l’anormalité de situations anodines qui passent inaperçues au commun des mortels, sauf, bien sûr, au personnage central.
Des milliers de Mrds au menu des brèves de comptoir
Cela a commencé le 26 Novembre dernier. 8h20, sur France Inter. Nicolas Demorand interviewe Jean-Hervé Lorenzi (Pt du Cercle des économistes, Pr à Paris-Dauphine) et Jean-Paul Fitoussi (Pt de l’OFCE, Pr à Science-Po).
Il s’agissait de commenter les déclarations récentes de Dominique Strauss-Khan (Dir du FMI).
En substance : La crise n’est pas finie, « 50% des actifs pourris des banques sont encore dans les placards », dixit Demorand traduisant DSK : « Il reste d’importantes pertes non dévoilées : 50 % sont peut-être encore cachées dans les bilans. »
Bien que l’Itw ait duré ¼ d’heure, ces deux là n’avaient pas de réponse : 50% des actifs pourris des banques ?, On ne sait pas.
OK. DSK nous fait une estimation à la louche sur une perspective apocalyptique… et les économistes n’ont aucun commentaire plus élaboré que de douter, tergiverser… sur 2000 Milliards de dollars « égarés ».
JHL : Ce que dit DSK est juste. Il est évident qu’il y a encore une large partie du bilan des banques qui pose problème. Sur le chiffre de 50%, j’ai quelques doutes. Au début de la crise, le chiffre qui est évoqué est de 40 milliards de dollars. 2 ans après, on en est à 100 fois plus : 4000 Mrds de dollars. Ceci illustre le fait qu’on n’est pas très au clair sur la réalité du problème. Il existe. Il y a une large partie des bilans bancaires qui sont encore en difficulté. Mais de là à dire que la moitié des bilans pose problème, que 2000 Mrds de dollars restent en difficulté, là je pense que DSK doit donner un chiffre, mais son chiffre est en réalité vraisemblablement un peu excessif.
JPF : C’est l’obscurité qui règne. On ne peut pas dire que la clarté ait été faite sur ce problème. Les chiffres vont et viennent. Ils montent et descendent. Ca donne le tournis… On ne sait pas. C’est ce qu’il y a peut-être de plus grave… Alors que le contribuable est appelé à la rescousse.
Leur aveu d’ignorance en dit long sur la déliquescence du système financier.
Mais, le plus alarmant c’est que ces deux là n’ont d’autre discours que celui de la consternation révoltée déjà entendu dès le début déclaré de la crise financière, il y a plus d’un an. Comme si rien n’avait avancé :
« Lorsque le contribuable est appelé à la rescousse, la moindre des choses pour la démocratie est d’assurer la transparence ».
« Il s’agit de la socialisation des pertes des banques alors même que les bénéfices restent privatisés. »
« Les gouvernements ont agi dans l’urgence et ils n’ont pas mis de conditionnalité suffisante à leur sauvetage du système bancaire »
« Les profits qui sont distribués actuellement sont des profits fictifs puisque qu’ils ont été subventionnés par les contribuables »
« …l’idée qui a prévalu partout, …/…, c’est l’idée que, au fond, nous étions en train de sortir doucement et sûrement de cette crise. Cette idée est pour partie fausse. »
« Le G20 lui-même ne pouvait pas être légitime s’il n’annonçait pas qu’il était en train de résoudre le problème. Donc, si vous voulez, c’est une sorte d’auto légitimation de son rôle. »
« Le discours des gouvernements a été manipulé. Les gouvernements ont cette impression qu’ils ont été manipulés. »
« Nous insistons sur la difficulté qu’il y a aujourd’hui à mesurer la richesse. Quelle est la richesse des banques ? Comment peut-on mesurer cette richesse ? Alors que les marchés dysfonctionnent tous les jours et que c’est eux qui sont censés donner de la valeur aux actifs possédés par les banques, aux créances détenues par les banques, etc… »
« Il faut bien voir qu’on marchait sur la tête. On avait un secteur financier dont la mission était d’assurer le financement de l’économie, …/… qui prélevait 40% des profits de l’économie ! On marchait sur la tête ! »
On nous parle doctement de voleurs et de menteurs, de ceux qui nous dirigent et de ceux qui ont escroqué tout le monde. Rien que de désormais très habituel : une série de lieux communs qui en temps normal serait une plateforme suffisante à entraîner une véritable révolte… en temps normal.
Un seul trait du commentaire pousse un peu l’angle d’analyse :
« La crise économique va contribuer à détériorer encore davantage le bilan des banques en faisant naître de nouvelles créances douteuses sur les entreprises qui sont proches de la faillite …/… Donc on n’est pas sorti de l’auberge »
Si les bourses reculent, comment veux-tu…
J’avais achoppé la veille sur les déclarations de DSK. Mais j’avais mis ça sur le compte de la prudence et aussi de sa volonté de vouloir se donner de l’importance.
Mais une de ses paroles n’a pas été (ou peu) commentée :
« …une nouvelle crise financière peut toujours survenir et la réaction risque de ne plus être la même : on ne verra pas deux fois des centaines de Mrds de dollars d’argent public ainsi déversés sur le secteur financier ! »
Même si son itw dans le Figaro, « Il faut revoir notre modèle de croissance » est tournée vers un changement de paradigme de la foire aux paris capitalistes, la simple assertion d’une possibilité de rechute :
« Nous ne croyons pas à une rechute, ce que l’on appelle un scénario de « W », mais nous ne pouvons pas complètement l’exclure. »
en dit long sur les déclarations effrontément optimistes de certains commentateurs.
Et puis, le lendemain, tombe la faillite annoncée de Dubaï.
Recul des bourses.
Quelques articles sur le mode tranquillisant : « C’est comme si on annonçait une faillite de banque à Monaco… », entend-on. Ou bien « L’incident de Dubaï ne doit pas être exagéré » – Le Figaro – .
Et puis d’autres, alarmés sur le mode « Dubaï. Qui sera le prochain ? ». On parle de la Hongrie, de l’Ukraine ou encore de la Grèce : « Dubai, la deuxième vague de la crise financière », avec pour sous-titre :
« Si Abu Dhabi vole au secours du petit émirat bling-bling au bord de la faillite, est-ce que l’Europe, en l’occurrence Paris et Berlin, voleraient au secours d’Athènes? ».
Et puis on se souvient des appels à l’aide des pays de la zone orientale de l’Europe, au printemps dernier. Personne n’en parle plus…
La grippe A est passée par là (comme par hasard) :
Le FMI, fossoyeur de l’Europe ?
« Les prêts accordés à la Lettonie, à la Serbie et à la Hongrie ont tous été accompagnés de mesures drastiques en termes de réductions des dépenses publiques et du déficit budgétaire, allant parfois jusqu’à la baisse du salaire des fonctionnaires. Voilà comment on ajoute de la crise à la crise en comprimant encore un peu plus une demande déjà insuffisante ! Voilà comment on transforme de manière accélérée une crise économique en crise sociale et en crise politique. »
Ou encore Le FMI, vampire de l’Europe
Les premières interventions du FMI en Europe, suite à la crise financière, ne s’annoncèrent guère mieux (qu’en Afrique).
Ses interventions en Lettonie s’étaient soldées par des émeutes et le renversement du gouvernement. Son aide à la Hongrie s’était vue adossée à un certain nombre de conditions de réductions du déficit budgétaire : Réduction du secteur public, Gel des salaires, Suspension du 13° mois , Réduction des retraites
Le Cas de l’Ukraine est édifiant : Litvine, président du parlement, dénonce des « conditions inacceptables » : Relève progressive de l’âge de la mise à la retraite, Hausse des tarifs du logement, « Réduction de certaines subventions sociales », « hausse du prix du gaz de production nationale »
Et on se remémore aussi les chiffres astronomiques :
FMI : l’écrasante charge du sauvetage des banques
Combien coûte le sauvetage des banques ? Les infatigables analystes du FMI nous donnent la réponse : entre la recapitalisation, les liquidités avancées, les rachats d’actifs et les garanties (qui n’ont dans la plupart des cas pas encore – pour le moment – été utilisées), les USA ont mobilisé 79% de leur PIB, la Belgique 30%, la France 19%, et l’Irlande…263%. Les besoins de financement immédiats s’élèvent à 8,8% du PIB au Canada, 6,6% aux USA, 15,8% en Norvège, 5,5% en Autriche, 4,7% en Belgique et 20% au Royaume Uni. Conclusion ? Le sauvetage de la finance est en train de ruiner les États. – 28 avril 2009.
La Grippe A nous a décidément bien endormi.
Le même jour, une amie m’alerte en m’adressant le rapport étrange de la Société Générale où celle-ci met en garde ses clients contre l’Apocalypse financière.
Le niveau de la dette paraît tout à fait insoutenable à long terme. Nous avons pratiquement atteint un point de non retour en ce qui concerne la dette publique», précise le rapport de 68 pages.
…/… Le problème de la dette sous-jacente est plus important qu’il n’était après la seconde Guerre Mondiale, alors que les taux nominaux étaient similaires. Sauf que cette fois-ci, les gouvernements seront pris à la gorge, le vieillissement de la population rendant plus difficile qu’auparavant l’effacement de cette dette avec la croissance. Les pays émergents ne seraient pas non plus épargnés, même si leur marge de manœuvre sera plus importante qu’au sein des grandes économies occidentales.
Parmi les pires scénarios envisagés, le rapport évoque une nouvelle chute des marchés, une inflation galopante ainsi qu’une forte chute du dollar…
Désormais, les thèses apocalyptiques ne sont plus réservées à la littérature « subversive » des sites tenants de théories du complot en tout genre, mais relayées in extenso par un des acteurs majeurs du « jeu de monopoly » international.
En parlant de jeu de monopoly
En parlant de jeu de monopoly, un nouvel indice me réveille ce samedi 28 Novembre.
« Rue des entrepreneurs », émission socio économique de France Inter (9h – 9h45).
Le thème du jour : La nouvelle couleur de l’argent. C’est Jean-François Noubel – Chercheur en intelligence, sagesse et conscience collectives (ISCC), Président- fondateur de TheTransitioner.org, qui parle :
L’effet Parito, quand on joue au monopoly, tout le monde démarre à égalité des chances et vous voyez que très vite qu’un déséquilibre entre les joueurs commence à s’installer. Et puis vous allez voir par la suite que ce déséquilibre va s’amplifier et que plus on a d’argent plus on peut investir, plus on peut investir plus on en gagne, plus on en gagne plus on peut investir et ainsi de suite. Et puis a contrario, moins vous en avez, hé bien, plus vous devez en payer aux autres, et donc moins vous en avez. Donc moins on a de monnaie, moins on en a, et plus on en a, plus on en gagne.
Le système a atteint un déséquilibre tel qu’on ne peut pas revenir en arrière. C’est-à-dire la monnaie se condense dans les mains de quelques uns jusqu’à ce qu’elle se condense totalement dans les mains d’un seul.
Qui est gagnant ? La banque ? Mais en fait le monopoly est un jeu de mise à mort collective. Y compris la banque. Parce que vous avez tous les sous sur votre compte mais vous n’avez plus de partenaires économiques parce qu’ils sont tous économiquement morts. Donc en fait, vous êtes vous aussi économiquement mort sauf si vous décidez de changer les règles et de réinjecter de la monnaie…/…
Vous voyez avec ce phénomène de condensation, le monopoly est un jeu qui nous montre de manière très simplifiée certes, mais véridique, vers quoi se dirigent les systèmes monétaires que nous avons aujourd’hui dans nos sociétés… Si la monnaie se condense en un endroit, si elle s’accumule en un seul endroit, hé bien, on doit se poser la question comment faire pour qu’elle ne désertifie pas les autres endroits de façon à ce que les gens puissent continuer à faire leurs échanges.
Tout cela parle de l’impasse. La grande impasse dans laquelle nous sommes entrés.
Mise en concurrence et vitesse de la lumière
Un peu plus tôt dans mon demi-sommeil, mon radio réveil s’est mis en marche.
Dans ma chambre, Stéphane Paoli sur France Inter pose une question à Luc Boltansky (« De la critique – précis de sociologie de l’émancipation » – Gallimard) en citant un essai « Short story of progress » – (La fin du progrès) de Ronald Wright parlant de suicide écologique et sociologique.
« Comment les sociétés humaines, ou du moins leurs élites, peuvent être aveugles et irrationnelles, mues par leur seul gain à très courts termes alors même qu’elles voient surgir les ferments d’effondrements économiques et de dévastations écologiques qui les emporteront ? »
Réponse : « La raison est très simple, systémique c’est-à-dire qu’elle est très liée à ce qu’est devenu le capitalisme et à la façon dont le management est devenu la science maîtresse d’aujourd’hui beaucoup plus que l’économie à organiser le capitalisme : chacun, y compris d’ailleurs à des niveaux très élevés, a le sentiment de ne jamais pouvoir agir vraiment parce qu’il ne fait que réagir à la contrainte des autres. …/… (Contrainte des autres et mise en concurrence). Dans un univers de ce genre, effectivement, la possibilité d’aller à la catastrophe sans que personne ne l’ait voulu est assez grande. »
Et Stéphane Paoli de se tourner vers Bernard Stiegler (« L’avenir du passé : modernité de l’archéologie » – La Découverte).
Une question que tous les français se posent, que le monde entier se pose : Nous savons qu’il n’est pas possible de continuer comme ça. Ores rien ne se produit, et que se passe-t-il ? Il se passe qu’il y a une lutte qui se joue en ce moment. Il ne faut pas croire qu’il n’y a pas d’alternative…
Et Bernard Stiegler d’opposer le Temps Carbone – hydrocarbures, métallurgie, autoroutes et médias concentriques -, système qui vient de s’écrouler en 2008, au Temps Lumière où les gens et les objets communiquent à la vitesse de la lumière…
Mais ce happy end en devenir me laissa frustré et marneux sous mes draps. Par trop intello, par trop éloigné encore. Inaccessible.
Les cartes routières de la finance obsolètes
« Rue des entrepreneurs » a commencé. Jean-François Noubel et son monopoly m’accompagnent dans ma grasse matinée. L’ombre de la fin des temps paraît plus concrète, plus accessible.
Satisfaction paradoxale. Comme s’il était plus satisfaisant de sombrer lucide que de se retourner les neurones à suivre des pistes transcendantales.
Peut-être cela viendra-t-il, mais pour le moment, c’est Bernard Lietaer, Économiste, Spécialiste des monnaies, Ancien directeur de la Banque Centrale de Belgique qui répond à Dominique Dambert :
« Il y a eu 96 crises bancaires au cours de ces 25 dernières années. Quand vous avez quelqu’un qui fait 96 accidents en 25 ans peut-être qu’il faut commencer à voir autre chose que de dire qu’il a de la malchance.
Laissez moi donner une métaphore : je vous donne une voiture, cette voiture n’a pas de frein, et le volant ne marche pas de temps en temps, et je vous envoie traverser les Alpes. Hé bien, vous allez avoir un accident et après je vous dis : oh ! Vous êtes très mauvais conducteur, ou bien : mon dieu ! Mon dieu ! Vous avez d’anciennes cartes routières qui ne sont pas à jour et c’est pour ça que vous faites des accidents. Personne n’ose parler de la voiture.
La voiture, c’est notre monnaie. …/… Cette idée d’un système, parce qu’il est plus efficace, – avoir un monopole est plus efficace que d’avoir un système de monnaies multiples – crée une instabilité systémique qui est prévisible, qui est répétable exactement comme dans un écosystème : quand vous avez une monoculture si vous avez le moindre petit changement de climat ou changement de conditions, vous risquez de perdre tout votre écosystème.
Voilà le danger que nous courons. Nous avons poussé trop loin l’efficacité au détriment de la résilience et la résilience demande, exige de la diversité. »
Désillusions, impuissance, barouds d’honneur et mol oreiller
Chacun y va de son exégèse, poussant son credo censé revisité l’artefact déclencheur de la vague dévastatrice.
Les fléaux annoncés (et révolus pour ceux qui ont déjà été sacrifiés), tels les exodes massifs de populations pauvres et affamées, les tables rondes – bien rondes – statuant sur la vertigineuse pénurie des denrées alimentaires sur la planète et les hécatombes qui s’en suivent méritent un même assaut de colère froide.
Des articles comme celui-là truffent les médias :
Les chiffres de la faim explosent tous les six mois. 1 Mrd de personnes souffrent de la faim en 2009 : combien en faudra-t-il pour que la faim devienne enfin une priorité mondiale?
815 millions en 2002. 854 millions en 2006. 925 millions en 2007. Le cap historique du milliard de personnes souffrant de la faim a été franchi en 2009… soit un sixième de la population mondiale. 22/06/09
Alors qu’il se dit qu’une petite fraction des sommes mobilisées pour sauver notre système bancaire aurait suffit à résoudre durablement le problème de la misère. Mais quand on leur parle de faire le bien, nos décideurs semblent entendre faire le « confort »… pour eux-mêmes et, par strict intérêt, pour leurs chers électeurs.
Plus tard, chez Ruquier, « On n’est pas couché », Jacques Weber parle rapidement de l’état du monde, d’un cri qui s’élève « non pas contre la Droite ou contre la Gauche mais contre l’insolence de l’injustice ».
Me revient l’expression maladroite de Patrick Sébastien, une semaine avant, annonçant son incursion dans l’action citoyenne. Un parti humaniste, ou quelque chose comme ça… Bien vite brocardé par les gardiens du temple politique, ceux qui s’arrogent le droit (évidemment nous les avons élus – hélas) de contrôler l’expression citoyenne. Insupportable bronca contre un homme, à l’évidence de bonne volonté, effaré par le risque d’une ultra violence à venir.
Rien n’avance. Personne ne paraît vouloir que quelque chose de bien arrive. Les énergies s’annulent. Le mal est plus fort que le bien.
Michael Moore dans un geste désespéré va réclamer l’argent des contribuables au pied des buildings financiers. « Capitalism », dont je n’ai vu que la bande annonce, paraît être un baroud d’honneur pour les lucides impuissants qui auront encore quelques moyens pour se payer une place de ciné. La lucidité, ce mol oreiller.
Une pilule de déculpabilisant
Mais il y a pire que cette lucidité à laquelle je m’exerce moi-même !« 2012 », ce film qui fait un carton grâce à une ficelle qui ne se rompra jamais : il joue avec nos peurs.
Mais avons-nous vu qu’il nous promet une Fin du Monde à laquelle nous ne pouvons échapper ? Une Fin du Monde parfaite puisque nous n’en serons pas responsables. Avons-nous vu que le sous-texte de ce film va à contre courant de tous les scenarii censés forcer notre remise en question ?
Dérèglement climatique, effondrement économique, guerre planétaire, apocalypse nucléaire… Quoi qu’il arrive, la terre se dérobera sous nos pieds, que nous soyons vertueux ou pas. Alors à quoi bon ? Ce film est un énorme « à quoi bon » ?
Il nous exonère de la culpabilité à laquelle les empêcheurs de polluer, jouir, massacrer, opprimer, s’enrichir en rond nous condamnent. Ces empêcheurs ! Une bande d’emmerdeurs, nouveaux intégristes de la vertu universelle, croisés d’une évolution durable pleine de contrainte, moines soldats pourfendeurs du bien-être moderne et égotique, parents terribles tenants de tous les interdits, oppresseurs des enfants gâtés voués à la destruction de leurs jouets innombrables et forcément rachetés à l’infini.
Avec « 2012 », on peut se débarrasser une fois pour toute de cette culpabilisation, du genre judéo-chrétien, que les « citoyens de la terre » reproduisent par la force des choses.
A quoi bon vouloir repousser ces Grandes Pestes que sont la menace climatique, les pollutions, les désordres du monde, l’effondrement du système financier.
« 2012 » fait un carton parce qu’il permet d’échapper au choix cornélien entre la Grande Peste et l’ascèse contraignante.
La Fin du Monde cataclysmique plutôt que d’avoir à choisir ! Voilà une solution intéressante.
Ainsi, à la sortie du cinéma, les populations cinéphiliques et « civilisées » choisiraient de ne rien faire… Et d’attendre la Fin du Monde.
Et si avant la Fin du Monde, il y avait une dernière étape avant le gouffre ?
Et si les « citoyens de la terre », militants pour un renouveau humaniste et écologique apparaissaient, aux yeux de ces populations égoïstes, comme les redresseurs de tort du moyen-âge. Et si les alternatifs écolos, à force d’incantations, devenaient les inquisiteurs ombrageux de la fin des âges.
Et si grâce à « 2012 » et d’autres œuvres testamentaires du même acabit, l’humanité décidait de vider ses flacons de pilules sédatives pour sombrer, bienheureuse, dans un coma définitif.
Alors tout sursaut deviendra impossible.
Cueillir une Marguerite avant la fin
Un dernier indice, trouvé presque par hasard sur la Toile. D’une délicieuse lucidité dont on ne sait goûter du sucré ou de l’amer :
« Nous sommes mieux renseignés sur la manière dont une civilisation finit par finir. Ce n’est pas par des abus, des vices ou des crimes qui sont de tous temps…/….
Les maux dont on meurt sont plus spécifiques, plus complexes, plus lents, parfois plus difficiles à découvrir ou à définir. Mais nous avons appris à reconnaître ce gigantisme qui n’est que la contrefaçon malsaine d’une croissance, ce gaspillage qui fait croire à l’existence de richesses qu’on n’a déjà plus, cette pléthore si vite remplacée par la disette à la moindre crise, ces divertissements ménagés d’en haut, cette atmosphère d’inertie et de panique, d’autoritarisme et d’anarchie, ces réaffirmations pompeuses d’un grand passé au milieu de l’actuelle médiocrité et du présent en désordre, ces réformes qui ne sont que des palliatifs et ces accès de vertu qui ne se manifestent que par des purges, ce goût du sensationnel qui finit par faire triompher la politique du pire, ces quelques hommes de génie mal secondés perdus dans la foule des grossiers habiles, des fous violents, des honnêtes gens maladroits et des faibles sages. »
Marguerite Yourcenar – Sous bénéfice d’inventaire – 1958 – Au sujet de la Décadence romaine