La justice française à la botte des banques… et avec le fisc
La nouvelle vient de tomber. La Société Générale a déjà récupéré 1,7 Mrd d’€ sur sa perte affichée dans le cadre de l’affaire Kerviel. (Source Europe 1 relayée par Libération et Le Figaro entre autres).
Il s’agit d’une déduction d’impôt accordée aux sociétés, et en particulier aux banques, en cas de pertes exceptionnelles sur un exercice donné. Cette déduction peut atteindre 33% de la perte selon les règles de la fiscalité des sociétés. Il faut savoir que ce genre de mesure est habituellement accordé à force de dossiers bien étayés et de requêtes appuyées auprès de l’administration fiscale. Mais dans le cas de la Société Générale, ça n’a pas l’air d’avoir posé de problème.
D’aucun dira qu’on paye des impôts sur les bénéfices mais jamais sur les pertes. Cela peut effectivement se comprendre.
D’autres diront que ce sont encore les contribuables qui sont amenés à éponger les dettes des banques.
Entre la première appréciation, soumise aux règles du système, et la seconde, révoltée des conséquences perverses du même système, on est amené à regarder la décision de justice rendue à l’issue de l’affaire Kerviel sous un autre œil.
On comprend d’abord que ce jugement, loin de se préoccuper de morale et de peser, dans un souci d’équité, les torts de chaque partie, on comprend que ce jugement était plombé par un jeu d’intérêts à 1,7 Mrds d’euros.
Car en exonérant totalement la Société Générale de toute responsabilité dans les pertes qu’elle avait enregistrée, la cour de justice lui a ouverte directement et sans condition la possibilité de toucher le pactole. Les considérations qui auraient pu entamer la vertu des dirigeants de la banque n’ont pas pesé bien lourd face à ces presque 2 Mrds. Kerviel, sans pour autant le plaindre, n’avait aucune chance.
Comme l’écrit très bien le Canard Enchaîné dans son N° du 6 Octobre :
« Cette responsabilité avait été pourtant reconnue par tous, les malversations de Kerviel n’ayant été rendues possible que par le laxisme de la banque. La Générale l’avait elle-même implicitement reconnu en virant la quasi-totalité de son état-major, le patron Daniel Bouton en tête, dans les semaines ou les mois qui ont suivi. C’est à ce titre encore que la banque s’est vu infliger, le 4 juillet 2008, une amende de 4 millions par la Commission bancaire de la Banque de France pour « carences graves dans le contrôle interne ». Autant d’éléments qui n’ont pas trop ému le tribunal. »
De plus, tous ceux qui ont approché de l’intérieur les marchés boursiers et les agences de trading savent que les positions qui y sont prises, sont pistées par les systèmes informatiques mis à leur disposition au centime d’€ ou de dollar près (j’ai un ami trader). Apparemment, les juges n’ont pas pris la peine d’aller vérifier sur place l’extrême précision des outils de trading.
Mais passons sur les échanges argumentaires qui se sont déroulés dans le prétoire. La vérité objective n’y a pas triomphé.
Revenons sur cette déduction d’impôt, dernier avatar (pour l’instant) de cette affaire dont on peut conclure que « pour 1 Mrd t’as plus rien ».
OK. On paye des impôts sur les bénéfices mais jamais sur les pertes. Mais ces 4,9 Mrds sont-ils des pertes au regard de l’administration fiscale ?
Dans un premier temps, sur l’exercice 2007, Jérôme Kerviel gagne 1,471 Mrd et dans un deuxième temps, il perd 6,382 Mrds sur l’exercice 2008. Ce qui fait dire à la Société Générale qu’elle a perdu 4,9 Mrds.
Ce sont les mêmes techniques, les mêmes outrances frauduleuses qui, dans les deux cas, ont été mis en œuvre.
Fin 2007, Kerviel n’est pas inquiété. Pourtant un gain de 1,471 Mrd, c’est énorme pour un seul homme, mais tout est normal… L’état-major de la Société Générale ne bronche pas.
Mais en 2008, quand la partie se gâte, les mêmes viennent se plaindre que le jeu est faussé, que quelqu’un a triché ! Comme un mauvais joueur qui remet en cause la règle du jeu quand la partie lui échappe.
Tout cela n’est pas bien moral et l’on devrait déjà se poser des questions sur la recevabilité de sa plainte, et par conséquent remettre en cause le jugement.
Mais par-delà le caprice de mauvais joueur que la Société Générale a eu l’effronterie de porter en justice, c’est la nature de l’argent qui est en jeu qui fait question.
Tout le monde le sait, le trading, la bourse, les marchés sont un immense casino avec ses propres règles qui n’ont rien à voir avec la justice commune. Cet argent, c’est du risque, comme certains le revendiquent si fièrement. Et bien évidemment, un risque ça s’assume, sinon il n’y en a plus (de risque).
Le bon sens commande de sortir ces pertes casinotières du cadre des pertes donnant droit à déduction fiscale.
Elles ne ressemblent en rien aux pertes exceptionnelles d’une société confrontée à un retournement de son marché dû à des conditions externes défavorables. D’une part, le jeu boursier n’est pas, pour la Société Générale, une activité exceptionnelle, et d’autre part, une banque, à travers son secteur de trading, s’expose, par essence, aux retournements de tendance qui ne peuvent s’apparenter à des conditions externes.
En invoquant les termes de cet alinéa (qui au demeurant ouvre la voie à toute sorte d’interprétations) :
«Toute entreprise déduit ses pertes et coûts de ses revenus pour calculer le montant de ses bénéfices et donc de ses impôts», les dirigeants de la Société Générale ont beau jeu. Mais l’administration fiscale se réserve toujours le droit d’évaluer les dossiers qui lui sont soumis, et chacun la connaît pour l’âpreté avec laquelle elle accorde tout débours.
Mais si les juges ont cru bon, dans un premier temps, de se déclarer compétents (ce qui se discute), ensuite d’exonérer la banque de toute responsabilité (contre toute évidence), il est à parier que les mêmes indulgences auront guidé l’administration fiscale dans l’attribution de cette déduction d’impôt de 1,7 Mrds d’€.
Une dernière réflexion sur ce cadeau fiscal.
Selon le portail du gouvernement, le déficit annuel structurel des régimes de retraite s’élève à 1,5 Mds d’€. No Comment.