De la disparition des Communs à la psychopathie ultralibérale
Les privatisations (disparition des Communs) apparaissent de plus en plus pour ce qu’elles sont : l’accaparement généralisé des richesses mondiales (biens et individus) par une caste mondialisée qu’on nommera en toute simplicité Oligarchie. Cette mise sous tutelle (jusqu’au brevetage du vivant) digne des pires cauchemars futuristes n’est plus à traiter uniquement sous le biais de la simple analyse rationnelle et économique. Elle relève aussi de la psychanalyse, une méta psychanalyse, comme on a pu en mener pour scruter les ressorts de l’inquisition, des colonisations, du nazisme ou des hégémonies impériales. Partant des prémices des organisations humaines à aujourd’hui, des communautés solidaires au « tout privé », on peut apercevoir que l’ultralibéralisme et ses promoteurs ne sont pas exempts de psychoses. Psychoses dont les conséquences sont à la mesure des pouvoirs exorbitants dont ils se sont dotés.
Ils ont déconstruit la solidarité, ringardiser la compassion, ridiculiser la gentillesse, réduit la morale, moqué la vertu, condamné le patriotisme, malmené la liberté d’expression, anesthésié l’esprit critique, fomenté des guerres, fait battre des montagnes pour leur profit, … considérons à notre tour l’ultralibéralisme comme un syndrome relevant de la psychiatrie.
Pour s’en rendre compte, il suffit de prendre un peu de recul et se remémorer ce qui fut la norme durant des siècles.
Les Communs
Il peut paraître paradoxal d’aborder un sujet par son contraire mais cela aide souvent à l’envisager dans sa globalité. Par exemple, le contraire de Liberté n’est pas uniquement l’Emprisonnement ou l’Entrave. Mais on s’accorde en général, pour cerner au plus large la Non-Liberté, à parler de Contrainte.
De la même façon, pour désigner le contraire de Privatisation, on se reporte par réflexe à la notion de Nationalisation, mais pour embrasser plus largement le contraire de Privatisation, on peut aussi parler de Communs.
Les Communs sont des ressources partagées, administrées, et exploitées collectivement par une communauté.
Les appétits du secteur privé se reportent désormais sur des domaines dont on n’aurait jamais imaginé qu’ils puissent être administrés et exploités par des intérêts privés, au point qu’il devient nécessaire, pour discuter Privatisation, de ne plus se limiter au périmètre du secteur strictement public (entreprises nationales) mais d’explorer la notion plus large de Communs.
Court historique des Communs
Une remontée dans l’histoire, nous laisse imaginer assez facilement des communautés humaines originelles contraintes de s’unir pour survivre et, de ce fait, de cultiver la solidarité, le partage et l’entraide.
Ainsi les ressources en eau, en bois, les cultures, les systèmes d’irrigation, les marais salants, les fontaines, les granges villageoises, les campagnes de labour, les campagnes de défrichage, les grandes fauches et les récoltes, les voies d’accès, les ponts, les pontons et les ports, les remparts, les vigies, les lieux de culte, les cimetières, etc… formaient la somme des Communs de la communauté. Chacun contribuait et était rétribué à la mesure de son travail.

La spécialisation de certaines activités ont permis à certains de valoriser leur force de travail en marge de ce pot commun tels les forgerons, les meuniers, les fumeurs, les menuisiers, les tisserands, les orfèvres, les apothicaires ou les guerriers mais souvent, au départ, les forges, les moulins à blé, les fumoirs, les pressoirs étaient des installations construites et maintenues par la collectivité.
Un grand enjambement de l’histoire, par-delà les pharaons, les cités grecques, les empires romains et ottomans jusqu’aux sociétés moyenâgeuses nous amène, 4000 ans plus tard, à un morcellement des Communs qui, pour beaucoup, se sont vus peu à peu attribués aux communautés humaines via des concessions octroyées par les puissants (seigneurs ou monastères) telles la coupe de bois et de branchages, la collecte de résine, les territoires de chasse et de pâturages, les fermages et métayages. Les dîmes, gabelles, cens, tailles et autres impôts se sont substitués aux rapports de contribution/rétribution primitifs.
L’or du Roi, le Commun monétaire
A ce stade, on doit, quoi qu’on puisse retenir contre l’Ordre royal, se figurer la conscience aiguë que devaient en avoir les puissants pour mettre à disposition des communautés du Royaume leur propre réserve d’or, d’argent ou de cuivre.
Car, parmi les actes qui consacrent le plus à l’esprit des Communs, celui de mettre en circulation les richesses-métal royales est sans doute le plus édifiant. L’or était une ressource limitée, pourtant le Roi s’en défaisait pour qu’il circule dans les bourses et goussets de ses sujets et ainsi faire tourner l’économie.
Certes, la musique de cette ronde sonnante et trébuchante de Louis d’or et d’argent n’était jamais entendue que de très loin par les manants-esclaves dont le labeur était pillé en bonne et due forme par les castes supérieures (nobles, ecclésiastes, marchands et banquiers).
Mais, pour s’en tenir à la lettre de ce système, les monnaies-métal à l’effigie du Roi représentaient peu ou prou le sang fiduciaire qui irriguait l’économie.
Pourrait-on aujourd’hui imaginer telle abnégation de la part de nos banquiers et autres dirigeants ? Il est vrai que de nos jours, la monnaie est une ressource qui ne s’adosse plus sur rien de concret. La solidarité nécessaire, la collaboration communautaire, l’entraide, le partage des bras et de la sueur ont été dilués dans le gouffre sans fond de la création monétaire ex-nihilo.. et virtuelle.
Plus besoin de se départir de valeurs précieuses pour faire tourner la roue des marchés, plus besoin de rechercher l’équilibre entre la masse monétaire et la création de richesses, plus besoin de cette promiscuité partageuse à l’endroit du peuple. Les pilleurs ont changé de méthode et le Commun monétaire qui reste aux citoyens, c’est la Dette.
Bien que l’image idyllique de la communauté originelle et de ses Communs universels ait disparu, l’esprit des Communs était encore vivace jusqu’au siècle dernier. Sans doute parce que les monnaies étaient encore adossées aux réserves d’or des banques centrales – ce qui n’est plus le cas depuis 1971 quand Nixon déclara la fin du Gold Exchange Standard (convertibilité du dollar en or) fixé à Bretton Woods (1944) – et que leur finitude les assimilait encore à un Commun.
Psychopathie ultralibérale
« Je possède donc je me sauve »
L’autre facteur de la disparition des Communs est la raréfaction de la ressource et, concurremment, la croissance de la population qui la consomme.
En effet, lorsqu’un pâturage est immense pour un nombre limité de bêtes, à quoi bon se battre pour en revendiquer la propriété.
Lorsque la situation s’inverse, les solutions à mettre en œuvre devraient être la préservation de la ressource, l’administration de son exploitation et le rationnement de sa mise à disposition.
Mais ce qui semble tomber sous le sens, orienté vers le souci du bien commun, n’est pas posé en ces termes par tous. Bienvenus dans le monde « moderne », celui du collapse En Marche.
Nos sociétés (et particulièrement les puissants qui les dirigent) privilégient au contraire la compétition et l’accaparement devenu vital.
A noter que cette notion de risque vital n’est pas encore passer pour beaucoup au niveau conscient, puissants compris. Ceux-là sont encore excusables. Par contre les autres, les oligarques conscients, ceux qui, en connaissance de cause, ne choisissent pas la sauvegarde du bien commun, sont alors assimilables à des destructeurs cyniques et criminels.
Le problème, posé en ces termes, fait apparaître le glissement ultralibéral de nos sociétés, non pas comme un glorieux mouvement de progrès adossé à une libération tout azimut des énergies entrepreneuriales et conquérantes, mais comme un gigantesque chantier où chaque exploitant-propriétaire édifie un radeau de survie en vue de la raréfaction des ressources et du péril de la surpopulation.
Ainsi les privatisations des activités vitales et structurantes de la société, adossées à l’argument qui affirme qu’un propriétaire gérera bien plus rationnellement SA ressource qu’un Collectif parce que, justement, il en est Propriétaire, sont en fait l’expression d’un instinct de survie profondément enfouie sous la dénégation de la finitude de la marche expansionniste de l’Humanité.
Il ne s’agit plus de gain, de jouissance et de confort ; il s’agit désormais d’autonomie et de survie. « Je possède donc je me sauve ».
N.B. : Ce syndrome de « panique refoulée » pourrait expliquer la mystérieuse affection psychopathique dont souffrent les 1 %, les 26 personnes qui possèdent à elles seules autant que la moitié de l’Humanité. En psychanalyse, on qualifie tout syndrome d’accumulation de « régression en stade anal ». Mais on laissera ces hyper-riches se payer eux-mêmes un psy.
Le prima de l’Argent sur la Vie
Face à l’option « Privatisations », l’option des « Nationalisations » était donc encore sur la table jusqu’à la fin du siècle dernier.
Il s’agissait de s’en remettre à l’État (émanation légitime du Collectif) pour administrer et exploiter les ressources relevant des Communs. Il s’agissait d’extraire de la sphère privée ce qui relevait des ressources vitales.
Mais en retour, on a vu les puissants faire exactement le contraire.
Le brevetage du vivant, le Commun suprême
« Ils ont tué leur mère » – réplique du film Avatar –
Ils ont revendiqué le brevetage du vivant, les multinationales (Coca Cola, Nestlé) confisquer les réserves d’eau, les bourses alimentaires (Chicago) fomenter des pénuries et des famines pour faire grimper les cours, des laboratoires faire de même avec leurs médicaments brevetés, les industries agroalimentaires se garantir des monopoles vitaux en bridant la capacité de réensemencement de leurs graines, des industriels de tout poil organiser l’obsolescence programmée de leurs produits, les majors du net « capturer » leur clients via des systèmes « propriétaires » (non compatibles), et surtout les banquiers jouer de la charge indue d’intérêt (l’usure à outrance) pour étrangler et dévaliser les emprunteurs captifs par obligations imposées par la loi.
L’actualité récente qui voit la médiatisation d’un phénomène qui n’est pourtant pas récent – les incendies généralisés des grandes forêts du globe – illustre fort bien la complicité patente entre élus et la sphère privée. Il est de notoriété publique que la plupart de ces incendies permettent des opérations immobilières ou minières fort opportunes… L’arme juridique qui statuerait à l’interdiction d’installation et d’exploitation privées dans les zones dévastées pendant plusieurs décennies serait une solution qui réglerait la commission d’autres actes criminels et réduirait à néant les profits à tirer de ceux déjà commis. Mais les élus se gardent bien de prendre ce genre de disposition. Ce qui en dit long sur leur connivence.
Lavage de cerveau
Il est alarmant de voir que la priorité de l’argent sur le vivant et sur les Communs en général est devenue une conception du Monde de plus en plus acceptée dans la société. L’inhumanité des « argentiers » a infusé, tel un lavage de cerveau insidieux, dans les esprits, perçue comme une fatalité et a rejoint la norme.
Par exemple, on refuse de soigner des patients dépourvus d’assurance santé, on verbalise l’excès de vitesse du bon samaritain en route pour les urgences. La real-politik légitime des bombardements d’hôpitaux, le massacre d’enfants, le gazage de population au nom de la raison d’état. « On n’y peut rien, c’est comme ça » dit-ON… et ON est un C…
La confusion mentale est à son comble : quand on questionne les gens sur l’écologie et les pollutions industrielles, ils se prononcent majoritairement pour une action nécessaire. Quand on les questionne sur les Services Publics, ils les plébiscitent. Mais dès lors qu’on les interroge sur l’ordre économique, ils se mettent à réciter le catéchisme rabâché à la télévision : « il n’y a plus d’argent », « il faut faire des sacrifices », « il faut rembourser la dette », « les privatisations vont nous sauver ».
Le fatalisme remplace les scrupules, et les scrupules sont considérés comme le réflexe des faibles et des naïfs. La compassion est un sentiment ringard et la gentillesse est au mieux une perte de temps, au pire de la bêtise.
Les barrières sont tombées. Un Henry Dunant, fondateur de la Croix Rouge, passerait de nos jours pour un joyeux illuminé. L’humanisme, une fable pour looser.
La Vie n’a plus de valeur…, ou plus exactement la Vie aura la valeur de ce que le gueux-consommateur-manant-citoyen, le canon sur la tempe, pourra donner en dernier ressort pour se sauver.
La Vie est une marchandise et Mengelé est au tiroir-caisse.
Cette digression assumée montre que les privatisations sont la tête de pont du combat que mène l’Ultralibéralisme CONTRE le Bien Commun.
D’ailleurs les arguments avoués pour les légitimer à savoir :
- Un bien est forcément mieux géré par SON propriétaire
- L’État, par essence, entrave les libertés d’entreprendre et de prospérer
- La Main invisible du Marché corrigera tout aléa funeste
sont la copie conforme des préceptes du Libéralisme « canal historique ».
Il ne s’agit pas ici de disserter des qualités et défauts du Libéralisme et du Capitalisme ; il s’agit ici de constater à quel point la destruction des Communs mène à la normalisation de la déshumanisation de notre société. Le prima de l’Argent sur la Vie.
Défaite de la morale
La morale (au sens d’éthique sociale et de respect d’autrui) aussi est une valeur déconstruite par les préceptes libéraux.
Le conflit entre Communs et Ultralibéralisme est hautement moral en ce sens que les uns sont une émanation directe des valeurs ancestrales (Solidarité, entraide, partage, instinct de vie, humanisme,…) et que l’autre en fait table rase en se basant sur des valeurs uniquement pragmatiques (profit, intérêt de caste, égoïsme, calcul, licence accordée au vice, …). Ici se déploie la nuance entre instinct de conservation (de la communauté et de sa descendance) et instinct de survie (« sauver ses fesses »).
Les héros sont morts et ceux que l’on voit traverser nos écrans de télévision sont les dérivatifs oniriques et spectaculaires des petits exploits que les couards ne feront jamais et que les Hommes de bien n’auront plus l’opportunité de réaliser, faute de Bien Commun à défendre.
La défaite de l’esprit des Communs et la réduction drastique du nombre des sociétés nationales dans tous les pays du globe se sont-elle jouées au moment où ceux-là se sont défait de leur souveraineté en confiant la création du Commun monétaire aux banques privées ? Ou bien à l’avènement du « Village Global » surgi de l’apparition simultanée de l’internet, de l’économie mondialisée et des transports de masse et propulsant paradoxalement un individualisme généralisé ?
Aujourd’hui, à l’heure où les ressources diminuent pour cause de raréfaction et de surpopulation, l’Homme décide paradoxalement et absurdement de s’éloigner de cet esprit.
L’individualisme autorisé par l’abondance (épisodique au regard de l’histoire et géographiquement circonscrite aux pays « Maîtres du Monde ») atteinte au siècle dernier, le pousse à croire en des solutions égocentrées et à considérer cette abondance acquise pour l’éternité. Il ne faut pas être Grand Clerc pour préjuger du résultat.
L’esprit des Communs fut celui qui permit aux premiers Hommes de survivre alors que les ressources étaient difficiles à exploiter. L’esprit des Communs permit leur évolution, leurs conquêtes et de s’affranchir toujours plus des contraintes.
Seul le retour à l’esprit des Communs permettra de surmonter les épreuves économiques, sociales, existentielles qui nous assaillent et d’amortir les effets de celles, immenses, qui se profilent à grand pas.
Conclusion
Jusque dans les années 70, la doxa ultralibérale était réputée, pour le commun des mortels, n’investir que les sphères affairistes et ne concerner que de lointains mouvements de capitaux aux confins des coffres forts des banques et multinationales via le grand casino boursier.
Las cette vision naïve dont les citoyens pouvaient encore se permettre le luxe a été profondément battue en brèche ces dernières décennies. La crise de 2008 a révélé au grand jour les menées délétères d’un système qui se trouve désormais en capacité, à la moindre défaillance, d’engloutir tel un tsunami la civilisation entière.
Outre les mécanismes de création monétaire, de titrisations aberrantes, de trading à haute fréquence, et de taux négatifs, la soif insatiable des argentiers mondialisés impacte désormais jusqu’à notre quotidien le plus intime.
L’adage « privatiser les profits, nationaliser les pertes » est dans tous les esprits. Un autre qui fait désormais florès « Bientôt ils privatiseront même l’air qu’on respire » devient d’une actualité d’autant plus angoissante qu’elle est devenue plausible.
Les privatisations, jusque là épiphénomène du capitalisme financier parmi d’autres, apparaissent aujourd’hui comme le point cardinal (et terminal) de la folie ultralibérale.
