Le ressort premier du mouvement des gilets jaunes restera devant l’histoire un appel spontané à la justice sociale. Ensuite de mois en mois, le mouvement s’est étoffé de revendications plus précises, plus argumentées et plus construites.
Dès le début, deux postures se sont conjuguées.
La première, réagir de façon basique, mais ô combien légitime, contre les inégalités sociales en perpétuelle croissance depuis les années 80 sous la pression libérale.
La seconde, ressusciter l’esprit du Conseil National de la Résistance (CNR) qui, au sortir de la seconde guerre, en 1945, consacra des avancées sociales compatibles avec l’essor économique des Trente Glorieuses.
Cette conjugaison a produit, depuis le début des Gilets Jaunes, un corpus impressionnant dont le chapitre social représente un des chapitres le plus conséquent.
Mais, que ces réflexions émanent du mouvement des Gilets Jaunes, des Nuit Debout, du militantisme syndical ou éco-terrien, des éconoclastes ou de cercles de réflexion, peu de biais d’analyse échappent au paradigme énoncé par Marx : la Lutte des Classes.
Cette segmentation du corps social a glissé à mesure des évolutions du monde où l’on voit surgir de nouvelles divisions tout aussi déterminantes comme celles qui opposent la France des métropoles à la France périphérique (Christophe Guilluy), les anywhere aux somewhere (David Goodhart), les producteurs aux profiteurs (Tatiana Ventôse), les mondialistes aux souverainistes.
Mais quelle que soit la prévalence que l’on accorde à telle ou telle de ces segmentations, la revendication de Justice sociale reste la résultante la plus prégnante et logique, ce qui, à rebours, apporte la preuve de l’existence et du profil de ces conflits.
En conséquence, au gré des rapports de force entre « Classes » et parce que de telles guerres ne peuvent être permanentes, émergent des arbitrages, des compromis qui se cristallisent dans ce qu’on nomme Politique sociale.
Alors ne perdons pas de vue qu’une Politique sociale est principalement édifiée pour faire passer la pilule, pour combler les outrances, pour adoucir les angles, pour que la Lutte des « Classes » ne soit pas un conflit omniprésent dont les morsures seraient visibles au quotidien. La Politique sociale est faite pour cacher la poussière sous le tapis, et ce tapis n’est autre que l’État et sa République.
Moins assiégés par l’aspect conflictuel et plus préoccupés de philosophie, les penseurs des Lumières ont pourtant jeté, à ce sujet, les bases d’une épure qu’ils ont nommée Contrat Social.
Cette acception moins conflictuelle (et plus constructif) aide à entrevoir comment administrer de façon équilibrée la Nation et dans quel esprit. Mais ses postulats, aussi nobles fussent-ils, n’ont pas résisté à la complexité des relations humaines et aux égoïsmes irréductibles.
Au sens large, le Social est la somme de toutes les relations qu’entretiennent un individu et sa famille (le foyer) avec le reste de la Société, à savoir avec l’État ET avec toutes les personnes morales privées telles les administrations des sociétés de service, les entreprises, les commerces, les producteurs, etc.
Pour autant, il est convenu que le vocable « Politique Sociale » ne recouvre QUE les interactions des individus avec l’État, ce dernier, par intermédiation, s’attribuant le pouvoir de réguler les relations des citoyens avec le reste de la sphère privée. On parle alors d’État Providence en cela qu’il garantit, d’une part, les droits fondamentaux de chaque citoyen et, d’autre part, les droits civils et la protection de chacun vis-à-vis des autres. C’est précisément ce « vis-à-vis des autres » qui donne à l’État un rôle qu’il ne devrait pas avoir et qu’il faudrait limiter et encadrer.
L’entremise de l’État dans les affaires privées induit une multiplication des dépendances du citoyen vis-à vis de l’État, dépendances qui figurent autant d’abandons de « souverainetés personnelles ». La relation horizontale prétendument en vigueur entre les entités privées – citoyen / entreprises – dans le Droit français (Voir Summa Divisio dans le chapitre Justice et Police) est devenue une vue de l’esprit à mesure que les sollicitations d’arbitrage ou de gestion à l’endroit de l’État Providence se sont généralisées. Le citoyen est concrètement un nain juridique.
L’Habeas Corpus qui garantit aux anglo-saxons une relative horizontalité de ce rapport de force a quasiment disparu du Droit français. Le régime de détention provisoire, les arrestations préventives, l’amende administrative sans débat contradictoire, les forteresses du Droit public édifiées face au citoyen privé de recours juridique sont autant de syndromes qui témoignent de cette disparition.
Sans prétendre traiter dans ce programme de cette carence fondamentale, il est opportun de souligner ici l’orientation souhaitée : la restauration de l’Habeas Corpus et de l’autonomie juridique du citoyen.
En l’état, nous nous contenterons de proclamer une façon optimale « d’arrondir les angles » afin d’atteindre une relative Justice sociale… en attendant que les esprits s’adaptent à ces concepts qui consacrent « l’Adulte citoyen ».